Pour le festival Sciences en Cour[t]s, que j'ai eu la chance d'animer, j'ai écris avec Hugo Talibard une fable, simplement intitulée la fable du doctorant. Nous l'avons écrite en quelques heures (car, figurez-vous, je devais rendre ma thèse ce jour-là), et souffre donc de quelques imperfections.
Elle raconte, en oubliant bien des aspects du doctorat, et en en fantasmant d'autres, les trois années d'un doctorant fictif, mais auquel certainement un véritable doctorant s'identifiera. Du moins l'espèrès-je.
Grâce à Nicolas Guillaudeux, le festival a été capté dans son intégralité, et ma prestation montée spécifiquement pour ne garder que la fable.
Je remercie tout particulièrement Mikail Marchand pour m'avoir encouragé à me lancer dans cette fable, et pour ses apports discrets mais importants, et l'équipe de Sciences en Cour[t]s pour m'avoir donné carte blanche concernant mes interventions lors de ce festival.
Bonne lecture ! (pour une version imprimable, c'est ici)
La fable du doctorant
1ère année
Un doctorant commençait sa première année.
Comme tous les doctorants avant lui,
Il s'efforçait de se constituer une bibliographie.
Il lisait en grand nombre, des journaux, des papiers,
Il lisait, et le soir venu s'endormait, le cerveau plein de nouvelles idées.
Il lisait, lisait de la théorie, des études, des applications !
Il lisait, lisait, lisait toute la journée, de cœur et de passion,
Mais avant que l'année ne s'achève,
le doctorant commença à entendre, en son fort intérieur, une voix.
Elle n'était alors que murmure, il ne la comprenait pas.
Mais une nuit, elle devint claire, forte,
et avait le ton de ceux qui savent qu'ils ne devraient pas poser leur question.
«Alors, mon cher doctorant. Tu t'amuses, tu t'instruis, tu apprends.
Mais quid de ta publication ?»
Le doctorant fût comme physiquement frappé par cette interrogation.
Pour tout dire, il ne se l'était jamais posée !
Pour le restant de la nuit, il garda les yeux ouverts et l'esprit paralysé.
Et dans les nuits qui suivirent perdit le sommeil,
accroché à sa couverture, ses yeux ronds, collés au plafond.
Il pensait. «Quand pourrais-je publier ? Peu peut-être,
mais la première participation peut être parfaitement prosaïque,
pas besoin de partir passionné pour présenter une prouesse palpitante !
N'ais-je pas perdu ma première année à lire,
en oubliant que pour trouver, il faut chercher ?»
Le doctorant avait perdu le sommeil, la passion, mais pas la raison.
Ne voulant céder à la folie, à cette voix qui le hantait dans la nuit,
Il alla voir sa directrice de thèse, pour lui communiquer ses appréhensions.
Elle avait été à sa place, elle avait de l'expérience,
elle saurait aider son apprenti.
Mon cher doctorant, si la recherche est une autoroute,
la première année de thèse n'est rien d'autre
que la bretelle qui permet d'y accéder.
Et si nul ne voyage en y restant coincé,
chacun pourtant se doit de l'emprunter,
il n'y a rien d'anormal à y passer une année.
Et le doctorant retrouva la joie, le sommeil et la passion.
La science ne l'intimais pas à publier aujourd'hui, ni demain !
Il termina sa première année, sans crainte de la voix au ton sournois.
2ème année
Inspiré, motivé, de nouvelles connexions s'étaient créées,
Et comme presque chaque matin de sa deuxième année,
le doctorant se releva, en nage dans son lit : une idée !
Il courut hors de son lit, attrapa un crayon,
Griffonna, calcula, posa des équations
Et des schémas sibyllins aux formes incertaines
Inondèrent bientôt les pages de son cahier Clairefontaine.
Sa moitié s'agita, voulut lui demander ce qu'il s'était passé,
Puis se rappela «Ah oui, c'est vrai, la recherche ça rend cinglé…»
Le lendemain, le doctorant se précipita au laboratoire
Bien décidé à ajouter sa pierre à l'édifice du savoir.
Il commença alors, avec application,
à mettre en forme sa future contribution.
Pendant des jours, avec le café comme carburant, il turbina avec acharnement
Son prototype prenait vie, à un rythme exaltant, Il était confiant…
Il ne lui manquait plus que les résultats !
Il lança donc l'expérience et… Ça ne marchait pas !
Bon … Gardons notre sang-froid …
Un peu de café ? Pas du déca !
Changeons ce détail là …
C'est pire comme ça !
Changeons de contexte … Argh !
Ça marche toujours pas !
Quid du postulat ?
C'est la cata !
CALMONS-NOUS !
Il sortit du bureau d'un pas mal assuré, l'air abattu
Et alla voir sa directrice, pour avouer qu'il était perdu.
Elle qui avait une brillante carrière - deux doctorats et une HDR -
Elle se moquerait sûrement de lui, peut-être même avec une pointe de mépris
Mais, plutôt que de le réprimander, elle lui expliqua, autour d'un café
Que la science est plus qu'un ensemble de connaissance ;
c'est une manière de penser
Cette phrase de Sagan, dans ce cas idoine, le plongea dans un état méditatif
C'est à ce moment qu'il comprit que toute percée commence par des résultats négatifs
Le doctorant, apaisé, avait repris courage
Il retourna à son bureau et se remit à l'ouvrage
Il n'avait peut-être rien de solide jusqu'à présent, mais sa réflexion avait avancé
Et sa passion le replongea dans un travail acharné
Mais alors qu'il voyait défiler les jours, les semaines, les mois, les saisons,
Il sentait aussi s'épaissir la goutte de sueur sur son front.
«Mais que vais-je faire ?» se demanda t-il, «je n'ai toujours pas de publication»
«Est-ce qu'ils embauchent toujours dans cette SS2I près de Dijon ?»
Il regarda autour de lui, et constata que ses camarades,
Doctorants eux aussi, vivaient la même chose que lui.
La pression,
La dépression.
(( Quelqu'un crie : «Bon, apéro ?!» ))
Une pression !
3ème année
Quand notre doctorant entra dans sa 3ème année,
Figurez-vous qu'il s'apprêtait à publier.
Il avait enfin des résultats, des petits, qu'il trouvait franchement bancals,
Mais suffisamment intéressants pour une conférence internationale.
Ainsi était venu le temps, de sa première publication en premier auteur
Il affronta sa fatigue, son stress et les relecteurs.
Et le papier fût envoyé, revu, accepté,
Le doctorant craignait de devoir le présenter,
devant un parterre d'expert en terre étrangère.
Tremblant de peur à l'idée de passer un mauvais quart d'heure,
Il monta sur l'estrade, présenta sa contribution,
Et lorsque fût venu le temps des question,
Il se surpris à répondre sans craintes ni tensions.
Parmi le public toutefois se trouvait un expert,
Qui avait une question, enfin, plutôt un commentaire…
Et cela le fit cogiter
Même le lendemain, pendant le congrès
Le surlendemain, pendant la soirée
Et en rentrant, dans le TGV
Et le jour suivant, une fois arrivé…
Il se dit «C'est une super idée.»
Les jours passaient, et les résultats continuaient de s'améliorer.
Quand sa directrice de thèse lança «Mais dis-moi, il faudrait penser à rédiger»
Il s'attela à la tâche, se vissa sur sa chaise
Sa page resta longtemps blanche, son inspiration au minimum
Puis finalement il commença : «De tous temps, les hommes…»
Il posa, tout fier, sur le bureau de sa directrice, son premier chapitre
Qui revint couvert de rouge - elle avait même barré les titres
Il en devint vert de rage - c'était ELLE qui avait choisi les titres !
Il donc fit les corrections nécessaires
et se mit à écrire des pages et des pages couvertes d'Arial
Qui lui revenaient toujours
d'un rouge et noir qui n'avait rien à envier à Stendhal
Jusqu'à ce qu'un beau jour, ou plutôt une nuit,
il tienne entre ses mains un bloc de feuilles plutôt lourd - son manuscrit.
C'est alors qu'il regarda derrière lui, et fut frappé d'une vision
Il ne pensait pas que le chemin parcouru avait été si long
Il ne voyait plus la petite colline au loin d'où il était parti
Lui qui avait passé toute sa thèse en pensant n'avoir rien produit…